La Criée, une affaire d’amiante symptomatique d’un malaise politique national

En cette veille de Noël, le personnel permanent de la Criée s’interroge sur l’avenir même du théâtre. En effet, suite à la dépêche diffusée par l’AFP le 16 décembre dans laquelle Monsieur Hermann, cité par Anne Béade, aurait exprimé de vives inquiétudes quant à la non-réouverture de la grande salle avant la saison prochaine du fait des travaux de désamiantage de la dite salle, nous avons été convoqués à un point presse par les délégués du personnel dont Jean Claude Leita est le porte parole. Ni ces derniers ni la direction même du théâtre –partie en tournée avec « la Nuit des Rois », création du directeur Jean Louis Benoit, n’étaient au courant de ces déclarations : quel fut leur choc à la lecture du communiqué de l’AFP !!!

En effet, si la grande salle ne ré-ouvre pas, ce qui est fort possible (après désamiantage complet, expertises et analyse des rapports d’experts, il faudra encore attendre au moins un mois l’accord de la CRAM), voire très envisageable au grand désarroi des salariés (si réouverture il y a, ce ne sera pas avant avril 2010), il en va de la santé financière du théâtre : le coût lié aux travaux de désamiantage causant la fermeture de la grande salle sur plusieurs mois s’élève à près de 400 000€ dont 140 000€ de pertes liées à la réduction de la jauge, 170 000€ de dédits versés suite à l’annulation des spectacles et 130 000€ de désamiantage. En cette période où les subventions de l’Etat accordés au théâtre se réduisent, ces surcoûts mettent le théâtre dans le rouge. Qui plus est, la fermeture de la grande salle et l’annulation de nombreux spectacles, ce sont des emplois d’intermittents en moins : la Criée qui embauche une trentaine de permanents recourait à l’embauche d’une centaine d’intermittents (artistes et techniciens inclus) lors de l’accueil de grosses productions dans la grande salle. Or, dans le cas de figure où la grande salle reste fermée, il en va de ces emplois et des intermittents dont le statut est déjà bien grignoté par des lois restreignant l’accès à l’intermittence à de nombreux artistes.

Fort heureusement, la petite salle a ré-ouvert, ce qui permet aux salariés de la Criée de travailler mais dans quelles conditions et à quel prix ? Telle est la question. De nombreux dysfonctionnements liés aux travaux de mise aux normes du théâtre et à la rénovation de la façade -qui avait causé sa fermeture la saison passée- se révèlent fort ennuyeux : pour exemple, le monte charge ne fonctionne pas (la Criée ne peut plus accueillir de personnes en situation de handicap et certains décors ne peuvent être montés dans la petite salle), le système de chauffage du théâtre est tombé en rade la veille de la conférence de presse, les verrous des portes d’entrée du théâtre ont été changés à maintes reprise (le public n’arrive pas à ouvrir les dites portes), des éclairages sont absents (les travaux ayant été interrompus par le désamiantage)… et j’en passe. A cela, se rajoute la question du désamiantage de la grande salle : ce dernier a été effectué ces derniers mois mais le rapport de l’APAVE missionnée par la Criée révèle qu’il reste des traces d’amiante friable sur certaines surfaces fortement sollicitées lors du travail des techniciens. C’est le cas des mailles du caillebotis du grill par lesquels passent les cordes et câbles ainsi que des murs proches des charriots de lestage et des poteaux de fond de scène soumis au choc de matériels lors de leur manipulation par les techniciens. Un de ces derniers, Didier Bourgeat, présent à la conférence de presse, atteint d’une affection liée à l’amiante et ayant porté plainte contre X, nous a longuement expliqué les risques encourus par les techniciens dans la grande salle. Cette dernière est, à ce jour, inexploitable. « A moins de laisser le rideau de fer fermé et ne conserver que l’avant scène pour des débats ou autres réunions d’entreprises », ironisent certains membres du personnel.

Il est tout de même étonnant que l’entreprise chargée du désamiantage n’ait pas consulté les techniciens et ait laissé de nombreuses parties à risque. Comme nous l’explique Jean Claude, il était interdit aux techniciens du théâtre de discuter avec les salariés de la dite entreprise. Or, il eut été bien plus logique que tous travaillent en concertation afin d’éviter de devoir – comme cela va être le cas- reprendre les travaux de désamiantage de la grande salle. Ces derniers nécessitent des travaux de confinements longs et couteux afin que la salle soit sécurisée au maximum pour permettre le désamiantage. Un coût supplémentaire inutile ! Ces travaux requerront soit la dépose du grill, son nettoyage et sa repose ; soit son changement. Quelle que soit la solution choisie, ce surcoût se rajoute à celui des dédits et autres dépenses inhérentes à la fermeture de la grande salle du théâtre. Et cela est bien ennuyeux tant pour les salariés que le public.

Le public, pris en otage par un problème qui le dépasse, et des salariés, désorientés. Ces derniers, chargés des relations publiques, se trouvent dans une situation délicate, n’ayant aucune information quant à la poursuite du désamiantage : les annulations et changements de programme se font au jour le jour, ce qui ne facilite pas leur travail et créé une brèche dans la crédibilité du théâtre. Déjà que le théâtre avait vu fondre son taux d’abonnement et résistait grâce aux comités d’entreprise, il est certain que la saison prochaine, les relations publiques auront un double travail à fournir s’ils veulent faire se réabonner les CE mécontents. On ne peut blâmer ces derniers qui ont des comptes à rendre à leurs clients et ne connaissent pas le fond du problème. En effet, pour un néophyte, il est difficile de savoir qu’il s’agit d’un problème de communication entre la Mairie et ses services, les entreprises en charge des travaux et la direction du théâtre informée au compte-goutte. Ce que demandent les salariés, comme l’explique Béatrice Duprat, chargée des relations publiques, « c’est de pouvoir travailler dans des conditions de sécurité normale, dans un lieu accessible à tous où chacun peut travailler sans inquiétude quant à sa santé : on aimerait utiliser notre énergie pour faire nos métiers de théâtre et être tenus informés des choses». Ils ne demandent pas la lune, juste quelques éclaircissements et des actes…Ils vont par ailleurs tenter de rencontrer les élus de la ville et de MPM, voir solliciter le ministère de la culture dès la rentrée 2010.

Hélas, il semblerait que ce ne soit pas la préoccupation première de la Mairie centrale. Le Maire de Marseille et Robert Martin, chargé du service des bâtiments communaux à la Mairie, restent silencieux en dépit des courriers adressés par l’administrateur du théâtre, Alexandre Madelin. De plus, l’entreprise missionnée par la ville a, semble-t-il, fait les travaux en dépit du bon sens (comme c’est souvent le cas à Marseille) : aucune cartographie précise de la grande salle n’a été faite nous apprend un des techniciens du Théâtre. La Criée, par l’intermédiaire de son administrateur, va néanmoins faire appel à un second expert, indépendant celui-ci, pour compléter le rapport de l’APAVE. Mais elle reste toujours en attente des analyses de l’expert mandaté par la Ville qui, à ce jour, n’a transmis aucun document à la Criée alors que le rapport a été envoyé au bureau en charge du dossier début décembre. « C’est à se demander si la ville de Marseille tient à conserver son théâtre national ou s’il s’agit là d’une manœuvre politique pour dégoupiller le directeur de son poste. » Voilà les questions qui minent certains des salariés du théâtre. Qu’il s’agisse d’un problème politique, oui, mais de là à ce qu’il s’agisse d’une manœuvre destinée à faire partir l’actuel directeur, je n’ose pas y penser. Car avec Marseille Provence 2013, la ville de Marseille a fort à faire : elle investit dans de nombreux projets couteux et prioritaires. De plus, en quelques années, à force de ne pas avoir entretenus les bâtiments dont elle est propriétaire, la ville doit faire face à de nombreux travaux imprévus : l’Odéon, l’Opéra qui tombe en ruine, et maintenant la Criée et l’amiante… Or, de l’amiante, il y en a partout : le Merlan a été désamianté pendant les travaux qui l’ont fait vagabondé deux saisons, les écoles et autres bâtiments municipaux sont couverts de flocage à base d’amiante, on en trouve même dans nos maisons.

Alors ? Vous me direz que tant qu’on ne touche pas à ces pans de murs et que l’amiante ne s’effrite, tout va bien mais le risque est grand pour de nombreux bâtiments et structures culturelles appartenant à la ville, construits dans les années 80 : il est fort probable qu’un jour ou l’autre, ils subissent le même sort que la Criée… Et ceci est valable dans tout la France.

Il nous apparait que le cas de la Criée est révélateur d’un grand malaise dans le domaine de la construction où des matériaux dangereux sont utilisés (la laine de verre non exempte de danger remplace l’amiante dans certaines parties de la Criée). Pour exemple, dans les années à venir, certains parlent de centaine de milliers de morts liées à l’amiante ! C’est énorme… et fortement inquiétant !!! Que faire contre ce fléau ? La question reste en suspend tant que le gouvernement ne se décide pas à se charger du dossier Amiante qui nous concerne tous. En cela, la mauvaise gestion du désamiantage dans le cas de la Criée devrait servir d’exemple afin d’éviter et des dépenses inutiles et des mélimélos politiques : il s’agit d’un problème de santé publique tout de même ! Un problème à prendre à bras le corps au-delà de nos mésententes politiques ou de nos petites querelles de poissonniers. DVDM

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